Le tour du monde de l’image

Par Julie de Lassus Saint-Geniès

Avocat à la Cour – Paris (France)

Le numéro 554 de votre magazine préféré consacré au Plus Grand Concours Photo du Monde témoigne de la richesse et de la diversité des thèmes, des lieux, des sujets ainsi que de leur traitement. Au-delà de ceux qui pratiquent la censure dont l’horizon juridique est donc bouché, le traitement des photographies dans le monde pose la question de la licéité de leur fixation et de celle de leur exploitation, les deux n’allant pas nécessairement de pair. Or, les règles, lorsqu’elles existent, divergent profondément en fonction des pays.

Le droit à l’image des morts

En France, le droit à l’image d’une personne commence à sa naissance (ce qui exclut la protection de l’embryon comme sujet de droit) et se termine à sa mort. En revanche, le droit monégasque protège le droit au respect de la vie privée et familiale de toute personne vivante ou décédée, de sorte que même après le décès de cette personne des photographies la fixant dans son intimité (y compris lorsqu’elle se trouve dans un jardin public) sont susceptibles d’être jugées attentatoires.

La photographie de rue

Les visions divergent souvent sur le point de savoir si l’on peut capter l’image de quelqu’un qui se trouverait dans un lieu public. Le Canada fait pencher la balance en faveur du sujet photographié, alors que les Etats-Unis ne permettent pas de s’opposer à la fixation « paisible » de son image dans la rue. Entre les deux, le droit français.

Dans la célèbre affaire Aubry, la Cour suprême du Canada a jugé à propos de la fixation par le photographe Gilbert Duclos d’une adolescente assise sur les marches d’un immeuble et publiée dans une revue artistique : « Nous ne croyons pas que l’expression artistique de la photographie, dont on a allégué qu’elle servait à illustrer la vie urbaine contemporaine, puisse justifier l’atteinte au droit à la vie privée qu’elle comporte. (…) L’argument que le public a intérêt à prendre connaissance de toute œuvre artistique ne peut être retenu, notamment parce que le droit de l’artiste de faire connaître son œuvre, pas plus que les autres formes de liberté d’expression, n’est absolu ».

Si dans une affaire concernant le photographe François-Marie Bannier, la Cour d’appel de Paris a jugé licite la fixation d’une dame assise sur un banc tenant son chien en laisse, en 2008, la jurisprudence française fourmille de décisions dans les deux sens.

Il est donc recommandé de toujours avoir avec soit un document pré-imprimé « Release-droit à l’image » afin de solliciter lorsque cela est possible, l’accord de la personne, d’obtenir ses coordonnées complètes en y ajoutant des mentions manuscrites qui permettront de relier la photographie prise à cet accord et de recontacter la personne (ce qui sera impératif pour une campagne publicitaire). Il est ensuite recommandé de faire preuve d’empathie et de ne pas diffuser de clichés dégradants susceptibles de porter atteinte à sa dignité.

« Photographs lives matter »

Une récente affaire a mis en évidence la complexité de la protection des droits d’auteur des photographes italiens. A la différence de nombreux pays (tels que la France et l’Australie notamment) qui n’ont qu’un seul régime de protection des photographies, celui du droit d’auteur, sous réserve que les clichés soient originaux, le droit italien dispose de deux régimes de protection distincts : les simples photographies et celles qui sont originales dont le régime de protection diffère : protection pendant vingt ans pour les premières et, à l’instar de la France, de soixante-dix ans après la mort du photographe pour les secondes.

Cette affaire a pour origine la reproduction non consentie par la Rai du célèbre cliché du photographe italien Tony Gentile fixé lors d’une conférence de presse et représentant le juge anti-mafia Giovanni Falcone se penchant vers son ami Paolo Borsellino. Quelques semaines plus tard, les deux hommes décèderont sous les bombes de Cosa Nostra.

Contre toute attente, les juges italiens ont considéré que cette photographie pourtant devenue un symbole national, était une simple photographie mécanique et non une œuvre de l’esprit. Selon eux, ce cliché « ne se distingue pas d’autres par une créativité particulière et son auteur n’a pas fait le choix d’une lumière, d’un cadrage ou d’une pose particulière. Il s’agit juste du témoignage d’un moment de détente entre deux collègues. »

Tony Gentile, qui a fait appel de cette décision a le projet de créer un mouvement destiné à sensibiliser chacun sur cette dualité italienne sous l’intitulé « Photographs lives matter ».

En droit Français, si une photographie n’est pas jugée originale, il n’existe aucune protection. Bons nombres de photographes français seraient peut-être ravis de ce régime complémentaire italien qui offre une protection intermédiaire de vingt année en l’absence d’originalité. 

 

L’iconique magazine PHOTO invite Me Julie de Lassus Saint-Geniès, avocat au Barreau de Paris et fondatrice de la Boutique du droit dans ses pages.

C’est ainsi qu’à chaque numéro une chronique est consacrée à un aspect différent du droit de la photographie.

Me Julie de Lassus Saint-Geniès, est titulaire d’un DEA (aujourd’hui Master 2 Recherche) en droit de la propriété intellectuelle à l’Université Paris II – Panthéon Assas, sous la direction du Professeur Pierre-Yves Gautier et d’un DESS (aujourd’hui Master 2) de droit des affaires à l’université de Dauphine à Paris sous la direction des Professeurs Gastaud et Louvaris.

Après avoir collaboré avec Me Carine Piccio, Me Gérard Haas et Me Alain Toucas, Me Julie de Lassus Saint-Geniès a fondé la Boutique du droit, cabinet de pointe en droit des affaires incorporelles.