La consécration par le tribunal français de Nanterre du droit au respect de la vie privée la famille princière d’Angleterre

Par Julie de Lassus Saint-Geniès

Avocat à la Cour – Paris (France)

Le mardi 05 septembre dernier, le Tribunal correctionnel de Nanterre a très fermement condamné le magazine Closer, la Directrice de la rédaction et le directeur de la Publication pour avoir gravement porté atteinte au respect de la vie privée du Prince William et de son épouse, la Duchesse de Cambridge, photographiés dans la plus stricte intimité alors qu’ils se trouvaient dans une maison du sud de la France – c’est-à-dire dans un lieu privé-. Ces clichés qui avaient choqué le monde entier dévoilaient le couple dans sa plus stricte intimité et exposait au public la poitrine dénudée de la Duchesse de Cambridge.

Dans une telle situation, l’arsenal juridique français permet non seulement une action civile sur le fondement de l’article 9 du Code civil et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais également une action pénale à l’encontre de quiconque aurait fixé, enregistré ou diffusé l’image d’une personne alors qu’elle se trouve dans un lieu privé.

L’article L 226-1 du Code pénal prévoit les peines plafond (maximum pouvant être requis par le ministère public et prononcé par le Juge correctionnel) : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui ».

L’article L226-2 du même code renvoie pour la détermination des personnes responsables en cas de diffusion par voie de presse, au droit spécial de la presse qui prévoit (article 42 de la loi de 18881) une responsabilité dite « en cascade » selon laquelle : « Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l’ordre ci-après, savoir :

1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 6, de les codirecteurs de la publication ;

2° A leur défaut, les auteurs ;

3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ;

4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs (…)»

C’est en application des dispositions susvisées que la juridiction de Nanterre a condamné à juste titre, avec beaucoup de sévérité, le Directeur de la Rédaction et le Directeur de la publication à une amende maximale de 45.000 euros chacun, outre une condamnation de deux paparazzi à 10.000 euros d’amende chacun dont 5.000 euros avec sursis.

S’agissant des directeur de la publication et de la rédaction, le Tribunal correctionnel a donc, s’agissant de l’amende, condamné à la peine maximale.

C’est une victoire absolue pour le droit au respect de la vie privée dont nous pouvons tous nous réjouir à une époque où les techniques de communication et les stratégies commerciales visent, chaque jour, à s’immiscer un peu plus dans notre vie privée pour nous transformer en machine à consommer.

C’est une victoire pour la liberté d’expression puisqu’à l’instar de la décision rendue en 2004, par la Cour européenne des droits de l’Homme Von Hanover c/ Allemagne, le Tribunal correctionnel fait la distinction entre la presse « dite people » qui piétine des libertés fondamentales et La presse qui a pour vocation de réellement informer le public afin de lui donner des outils pour comprendre le monde dans lequel il vit, comme les journalistes le rappelaient dans leur déclaration de devoirs et de droits des 24 et 25 novembre 1971 : «  les devoirs essentiels des journalistes dans la recherche, la rédaction et el commentaire des évènements sont : « (…) 4) ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies, des documents (…) 5) s’obliger à respecter la vie privée des personnes… (…) 8) s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation …».

La reconnaissance d’un droit à la vie privée du couple princier se situe dans la droite ligne de la jurisprudence française qui considère que chacun – quel que soit son nom, son rang, sa fortune, sa naissance, ses fonctions .. a le droit fondamental au respect de sa vie privée : le droit de vivre a l’abri des regards.

Le Couple avait sollicité à titre de dommages et intérêts une somme de 1, 5 millions d’euros qui n’a toutefois pas été retenue par le juridiction de Nanterre mais qui a tout de même alloué à chacun des demandeurs la somme de 50.000 euros, ce qui est très au-delà de ce qui est habituellement alloué.

A titre d’illustration et pour ne citer que les plus tristement célèbres couvertures du magazine CLOSER :

Le magazine a été condamné à 15.000 euros de dommages et intérêt pour avoir révéler la liaison d’une actrice française et de l’ancien Président de La République.

CLOSER a également été condamné à verser 20.000 euros de dommages et intérêts à un homme politique de l’extrême droite française dont le magazine avait révélé l’homosexualité.

En  2015, à 15.000 euros de dommages et intérêts pour avoir annoncé un état de grossesse inexistant d’un membre de la famille princière de Monaco, illustré de clichés volés la représentant en maillot de bain, sur une plage publique.

A la différence des pays anglo-saxons, en droit français, les tribunaux n’accordent pas de punitives damages, ils réparent le dommage existant mais uniquement celui-ci.

Or, à la différence d’un préjudice économique, déterminer un préjudice moral, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Comment évaluer une souffrance ? Comment quantifier la violence de se savoir épier dans sa plus stricte intimité ? comment mesurer le choc ressenti à la vue de son intimité exposée en première pages de tabloids ? Que ressent-on quand les parties les plus intimes de son corps sont mises en scène et exposées aux yeux de tous ?

La condamnation qui vient d’être prononcée par le Tribunal correctionnel de Nanterre s’ajoute à l’interdiction par Closer de toute diffusion des clichés illicites prononcé par le Juge civil de Nanterre en 2012 et confirmé par la Cour d’appel de Versailles en juin 2013.

Ce jugement correctionnel a donné lieu à un appel, qui souhaitons-le, sera l’occasion pour le Juge pénal de renforcer sa condamnation 1) à l’égard des paparazzi qui ont certainement dus percevoir une rémunération bien supérieure au montant de l’amende fixé par le juge de première instance 2) dans l’intérêts du Couple princier et particulièrement de la Duchesse de Cambridge civile en prenant la mesure des conséquences psychiques d’une telle intrusion mondiale dans leur sphère privée. Enfin, il serait légitime que la publication supporte l’intégralité des frais de webcleaning de ces clichés litigieux qui demande un travail de chaque instant et qui sont la conséquence directe de la publication litigieuse.